Un employeur peut-il prévoir une politique de neutralité restreignant la liberté religieuse de ses salariés ?
Oui !
Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou une formation en entreprise. Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison notamment de ses mœurs ou de ses convictions religieuses. En outre, le règlement intérieur d’une entreprise ne peut pas contenir :
- des dispositions discriminant les salariés en raison de leurs convictions religieuses ;
- des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché.
Toutefois, un règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant un principe de neutralité et restreignant ainsi la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont :
- justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise ;
- proportionnées au but recherché.
La Cour de cassation, par un arrêt en date du 22 novembre 2017, transposant en droit français deux décisions de la Cour de justice de l’Union Européenne, est venue préciser les conditions dans lesquelles un employeur peut imposer un principe de neutralité politique, philosophique et religieux dans le règlement intérieur de son entreprise.
En l’espèce, une salariée a été licenciée pour faute pour avoir refusé de retirer son foulard lorsqu’elle intervenait dans les entreprises clientes de la société. La salariée a saisi la juridiction prud’homale pour contester son licenciement estimant qu’il constituait une mesure discriminatoire en raison de ses convictions religieuses. Les juges du fond ont rejeté sa demande en considérant son licenciement comme fondé sur une cause réelle et sérieuse. Ils ont considéré que l’entreprise est tenue de prendre en compte la diversité de ses clients et leurs convictions et qu’elle peut, de ce fait, être amenée à imposer à ses salariés, en contact de la clientèle, une obligation de discrétion qui respecterait les convictions de chacun. Les juges ont estimé la restriction demandée à la salariée comme justifiée en raison de la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché car limitée au seul contact de la clientèle. Reprochant aux juges d’avoir validé son licenciement, la salariée a formé un formé un pourvoi en cassation.
La Cour de cassation a censuré la décision des juges du fond en application des dispositions et de la jurisprudence communautaires. En effet, la Cour relève qu’aucune clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail n’était prévue dans le règlement intérieur de cette entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions légales que le règlement intérieur. Or, l’obligation faite à la salariée de retirer son foulard lorsqu’elle entrait en contact avec les clients résultait seulement d’un ordre oral et visait un signe religieux déterminé. Cela caractérisait ainsi une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses de la salariée. En outre, la Cour retient, conformément à la position des juges communautaires, que la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits d’un client qui ne veut pas travailler avec une salariée portant un foulard ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante justifiant une dérogation au principe de non-discrimination.
Par ailleurs, la Cour de cassation a publié une note explicative, relative à l’arrêt en date du 22 novembre 2017, précisant les conditions dans lesquelles un employeur peut mettre en place, au sein de son entreprise, une politique de neutralité. La Cour précise que :
- il est possible de déroger au principe de non-discrimination en présence d’une « condition essentielle et déterminante résultant de la nature d’une activité professionnelle et des conditions de son exercice ». Cette dérogation doit reposer sur une exigence objectivement dictée par la nature des fonctions occupées par le salarié et non sur des considérations subjectives. Ainsi, la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits d’un client de ne pas travailler avec une salariée voilée ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle objective, essentielle et déterminante ;
- une entreprise peut prévoir une clause ou une politique générale de neutralité prohibant le port de signes visibles de convictions politiques, philosophiques ou religieuses. Cette clause doit viser indifféremment toute manifestation de telles convictions et traiter de manière identique tous les salariés de l’entreprise en leur imposant, de manière générale et indifférenciée, une neutralité vestimentaire seulement s’ils sont en contact avec la clientèle. La Cour de cassation ajoute qu’une telle clause doit figurer dans le règlement intérieur ou une note de service de l’entreprise soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur. En outre, pour que la clause soit valable, le règlement intérieur ou la note de service doit respecter les garanties résultant de sa communication à l’inspecteur du travail et au contrôle de celui-ci. A défaut, elle ne serait pas opposable aux salariés ;
- si un salarié refuse de se conformer à la restriction prévue dans le règlement ou d’une note de service relevant du même régime légal, l’employeur devra, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise et sans que celle-ci subisse une charge supplémentaire, proposer au salarié un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec les clients plutôt que de procéder directement à son licenciement.
Ces règles ont été rappelées par la Cour de cassation dans un arrêt en date du 14 avril 2021. Dans cette affaire, la Cour a rappelé que les restrictions apportées ne pouvaient pas être justifiée par la volonté de préserver « l’image de l’entreprise au regard de l’atteinte à sa politique commerciale » et « l’attente alléguée des clients sur l’apparence physique des vendeuses » lesquelles étaient selon lui susceptibles d’être contrariées par le port d’un foulard par la salariée. Elle n’était pas fondée sur une exigence professionnelle essentielle et déterminante. Par conséquent, la Cour a retenu que le licenciement de la salariée était fondé sur un motif discriminatoire et devait être annulé.
Consulter l’arrêt de la Cour de cassation en date du 22 novembre 2017 : http://urlz.fr/6cQC
Consulter la note explicative de la Cour de cassation relative à l’arrêt du 22 novembre 2017 : http://urlz.fr/6cQA
Consulter la décision de la Cour de cassation du 14 avril 2021 : https://urlz.fr/frNU
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