Droit à la preuve et respect de la vie privée : le salarié peut, sous certaines conditions, utiliser un enregistrement clandestin pour prouver un accident du travail
En principe, la preuve en matière civile est libre, sous réserve qu’elle soit obtenue de manière licite et loyale. Pour être licite et donc recevable en justice en cas de contentieux, la preuve doit respecter certains principes dont celui de la loyauté et ne pas porter une atteinte disproportionnée à la vie privée de l’autre partie.
A défaut, les éléments de preuve obtenus de manière illicite, déloyale ou irrégulière étaient jusqu’alors jugés irrecevables en justice. Par exemple, la Cour de cassation rejetait des débats, en cas de contentieux, les preuves obtenues à l’insu des personnes concernées, de manière clandestine ou déloyale ou par stratagème. Étaient ainsi systématiquement rejetés du débat les enregistrements clandestins d’une conversation téléphonique privée ou d’un entretien sans que la personne concernée n’ait été informée de cet enregistrement, tant du côté de l’employeur que du salarié.
Toutefois, dans ses derniers arrêts sur le sujet, la Cour de cassation a assoupli sa position en opérant un revirement de jurisprudence, en application des décisions européennes notamment.
En effet, dans deux arrêts en date du 22 décembre 2023, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a admis, sous certaines conditions strictes, la recevabilité et l’utilisation de preuve obtenues de façon déloyale ou illicite. Elle a admis la recevabilité de ces preuves à condition que leur production soit indispensable à l’exercice du droit à la preuve et que l’atteinte aux droits antinomiques en présence et strictement proportionnée au but recherché.
Elle justifie sa décision par la nécessité de ne pas priver une partie de tout moyen de faire la preuve de ses droits, lorsqu’elle ne dispose pas d’autres éléments que ceux obtenus de manière illicite ou déloyale.
Les juges doivent ainsi apprécier si la preuve obtenue de façon déloyale ou illicite porte une atteinte au caractère équitable de la procédure en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence. Le droit à la preuve peut justifier la production de ces éléments à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi.
C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt en date du 6 juin 2024 concernant l’utilisation de preuve déloyale fournie par un salarié pour la reconnaissance d’un accident de travail.
En l’espèce, un salarié avait été déclaré victime de violences verbales et physiques commises par son employeur. La Cpam avait reconnu l’existence d’un accident du travail. L’employeur avait agi en justice pour contester cette décision et l’existence de l’accident. Le salarié avait agi pour demander la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. L’employeur reprochait au salarié d’avoir fourni des preuves obtenues de manière déloyale. En effet, pour établir avoir été molesté par l’employeur, le salarié produisait, outre le dépôt de plainte et des certificats médicaux, un enregistrement effectué à l’insu de l’employeur, sur son téléphone portable lors des faits.
Les juges du fond avaient rejeté la demande de l’employeur. Ils avaient constaté que l’enregistrement des propos tenus par l’employeur avait été réalisé à l’insu de celui-ci.
Toutefois, ils avaient rappelé que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi.
Ils avaient relevé qu’au moment des faits, des collèges de travail de la victime ainsi qu’une cliente de l’entreprise et associée avec le gérant dans une autre société étaient présents sur les lieux. Ils avaient retenu qu’au regard des liens de subordination unissant les premiers avec l’employeur et du lien économique de la seconde avec le gérant, la victime pouvait légitiment douter de la possibilité se reposer sur leur témoignage.
Les juges avaient ensuite relevé que l’altercation enregistrée était intervenue au sein de la société dans un lieu ouvert public et que la victime s’était bornée à produire un enregistrement limité à la séquence des violences qu’elle indiquait avoir subi. Le salarié n’avait procédé au constat de la teneur de cet enregistrement par un huissier de justice que pour contrecarrer la contestation de l’employeur quant à l’existence de l’altercation verbale et physique. L’employeur avait formé un pourvoi en cassation.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’employeur en validant la décision des juges du fond. Elle rappelle que suivant les principes dégagés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, en matière civile, elle a consacré un droit à la preuve qui permet de « déclarer recevable une preuve illicite lorsque cette preuve est indispensable au succès de la prétention de celui qui s’en prévaut et que l’atteinte portée aux droits antimoniques en présence est strictement proportionnée au but poursuivi ».
Elle rappelle les décisions rendues par l’Assemblée plénière le 22 décembre dernier et retient que, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats.
Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
Ainsi elle conclut que la production de cette preuve était indispensable à l’exercice par la victime de son droit à voir reconnaitre tant le caractère professionnel de l’accident résultant de cette altération que la faute inexcusable de l’employeur à l’origine de celle-ci. De plus, l’atteinte portée à la vie privée de l’employeur était strictement proportionnée au but poursuivi d’établir la réalité des violences sur le salarié.
Consulter l’arrêt de la Cour de cassation en date du 6 juin 2024 : https://urlz.fr/r3dS
Bien entendu le service juridique de la FESP reste à votre entière disposition pour répondre à toutes vos interrogations et demandes d’accompagnement.
Ensemble nous sommes plus forts!
Le service juridique de la FESP
juridique@fesp.fr accueil@fesp.fr